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Chapitre 1

Adélaïde

Partie

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Les Murailles de Prile

  

 

A

 

— Père ?

Ma voix me paraît faible et tremblante. Je regrette déjà d’avoir ouvert la bouche mais impossible de revenir en arrière. Je prends une inspiration, pousse la porte du bureau et m'avance.

— Je suis déçu, Adélaïde.

Mes dents se serrent.

— Tes résultats ne sont pas plus prometteurs que ton comportement.

Assis sur une chaise en bois de l’autre côté de la pièce, il me tourne le dos. Pourquoi ne me regarde-t-il pas en face ?

— J'en attendais bien plus de celle qui doit prendre la tête de notre île. Les conseillers sont furieux.

Je fais un pas.

— Mais…

— Silence !

Je déglutis.

— J'ai donné carte blanche à ton précepteur. J'espère que tu comprendras et que tu changeras d'attitude. Ton état d'esprit actuel n'est absolument pas compatible avec les fonctions que tu vas devoir exercer.

Je recule et quitte la pièce avant qu’il ne me donne congé. Puis je cours, dépasse le village, le champ de panneaux solaires, la porte du château.

L'océan.

Le tonnerre des vagues couvre mon propre cri.

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 4

Chapitre 3

Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4

 

  

A

 

 

— Adèle ! C'est toi le chat !

Je grogne et bondis vers la fille qui a réussi à m'attraper mais elle détale et rejoint les autres. Ils ne sont pas plus en sécurité à trois mais cela semble leur donner du courage. Ils disparaissent derrière les fougères.

Ce n’est pas évident de courir dans la forêt, j’ai l’impression de tourner dans tous les sens et de ne pas pouvoir prendre de vitesse. Je dois éviter les troncs des palmiers et les flaques de boues mais les fougères me bloquent le passage et les racines couvertes de mousse sont glissantes.

— Adèle, la sauterelle…

— Tu nous attraperas pas !

Je galope vers eux et ils se dispersent. Je repère ma cousine Christie et la prend en chasse.

— Raté ! s’exclame-t-elle en évitant d’un bond mon bras tendu.

Je rebrousse chemin quand la cloche se met à sonner. Le rappel ! Désormais nous courons tous dans la même direction. Après avoir atteint le chemin qui serpente à travers les champs de pommes de terre, je peux enfin accélérer. Je dépasse mes amis un par un, mais je ne cherche pas à les semer.

— Dépêchez-vous !

— Fonce Adèle ! Pars devant ! me hurle Christie.

Elle a raison. Christie est la fille d’un conseiller, mais elle ne risque rien d’autre que de passer la nuit dehors. Alors je force l’allure et cette fois, je ne me retourne pas.

Quelques minutes plus tard, quand j'atteins la porte du château, elle est déjà fermée. Je tambourine contre le bois.

— S'il vous plaît ! Ouvrez !

— Qui est là ?

— Adélaïde.

Une encoche s'ouvre et un oeil apparaît.

— Mais qu'est-ce que vous fichez là ? On a déjà sonné !

— Je sais !                                                                                    

La fente se referme.

— Je vous en prie ! insistai-je. Nous sommes quatre… Mes amis arrivent !

Le porte reste silencieuse. Je ne parviens pas à savoir si le portier a vraiment l’intention de nous faire passer la nuit dehors et me condamner aux foudres de mon père. Paniquée, j’ai du mal à respirer et mon regard ne se détache pas du battant. Je remarque à peine mes amis qui me rejoignent enfin.

— A… Adèle ! Qu’est-ce qu’il se passe ? halète Christie lorsqu’elle atteint la porte à son tour. Ils ne veulent pas ouvrir ?

Je secoue lentement la tête.

— S’il vous plaît, laissez-nous entrer ! crie-t-elle.

Un grincement se fait entendre.

— Merci… lâchons-nous en passant l’ouverture les uns après les autres.

— Je n’ai pas le droit, normalement, ronchonne le portier en refermant les verrous un à un. Cela ne se reproduira pas, je vous préviens.

Je réalise alors qu'il n'est pas beaucoup plus âgé que moi.

— Qu’est-ce que tu fais là, toi ?

— Je suis le portier, je suis responsable de la fermeture des portes. J’ai risqué mon poste pour vous. À votre place je baisserais la tête et je filerais.

— Tu n’es pas à ma place !

— Et tant mieux. Quand votre père va se rendre compte que vous avez encore joué dans la boue avec les villageois, ça va gronder.

— Je ne te permets pas !

Comment ose-t-il me manquer de respect à ce point ? Je suis déjà hors de moi lorsqu’il lâche :

— On m’a dit qu’un jour, vous vous occuperez de l’île. On n’est pas rendu.

Je suis prête à le gifler mais Fabrice me retient.

— Il en vaut pas la peine, Adèle. C’est qu’un idiot de militaire… Allez, viens.

— Pff, souffle le soldat. Espèce d'aristo pourrie-gatée.

Je lui lance un regard noir et suis mes amis.

 

*

 

Je traverse la cour de terre battue, grimpe les escaliers en colimaçon de la tour nord puis fais irruption dans la salle de travail de mon professeur.

— Excusez-moi, monsieur.

— Tu étais encore dehors, lâche-t-il d’un ton lasse.

Inutile de mentir. Mon précepteur est beaucoup plus malin que ça. Il s'assoit derrière son bureau et me fait signe de m'installer.

— Ton père m'a parlé. Désormais, nous aurons cours tous les matins. Je te donnerai de quoi t'occuper pour la journée. Nous nous retrouverons avant le dîner et tu passeras ta soirée à la bibliothèque. Je te donnerai une liste de livres à lire.

Du travail en perspective. Je demande :

— Qu'allez-vous m'apprendre ?

— Nous allons commencer de nouvelles matières.

— Lesquelles ?

— Je t'en parlerai en temps voulu.

J'acquiesce.

— L'essentiel du travail, tu le feras seule. Tu auras beaucoup de devoirs en dehors des cours.

— Plus que maintenant ?

— Beaucoup plus, réplique-t-il sans un soupçon de compassion.

Je ne proteste pas mais je me crispe. Je sais ce qu’ils veulent. Ils essaient de me surcharger. Pour que je ne puisse plus rejoindre mes amis dehors.

 

*

 

Je suis dans ma chambre, assise sur le rebord de la fenêtre. Depuis des heures maintenant, mon regard passe de la cour au village, du village à la muraille, de la muraille à la cour. Puis je vois Christie quitter le château. Ils vont sans doute faire une cabane. Je me lève et toque à la porte.

— J'ai fini mes exercices.

Le garde ne me répond pas. Je retourne vers la fenêtre mais quelques minutes plus tard, je craque et fait demi-tour. Je frappe plus fort.

— J'ai fini, je vous dis !

— Votre professeur a dit que c'était impossible.

— La preuve que si.

— Nous n'avons pas à discuter ses ordres. Nous vous ouvrirons quand vous aurez terminé tout votre travail.

Déprimée, je retourne m'asseoir. Il me répète ça toutes les heures.

  

 

K 

 

Un bâillement m’échappe. Plus de la moitié de la nuit a déjà filé sans que je n’aie bougé un orteil. À bout, je me lève et décide de faire le tour de la muraille. Si on m’avait dit que mon boulot serait aussi ennuyant, je ne me serais pas mis en quatre pour le décrocher. Après quelques instants, je songe que non, mes regrets ne sont pas fondés. À l’époque, je n’avais pas quarante millions d’opportunités.

Mon regard fouille la forêt. Même s’il fait trop sombre pour que je les voie, je sais que les sentiers sont là, sous mes yeux. J’ouvre grand mes oreilles mais aucun son ne me parvient. Même l’océan est calme, cette nuit.

Puis un craquement m’alerte. Il y a des hommes sur la route. À une heure pareille ? J’entends des murmures, portés par le vent. Quelque chose cloche. Je retourne auprès de mon supérieur.

— Je crois qu'il se passe quelque chose.

— Tais-toi gamin, grogne-t-il sans m’accorder un regard. Tu cherches les ennuis.

— Et s'il y avait vraiment quelque chose ?

Il pose le morceau de bois qu’il était occupé à tailler sur la table, secoue l’avant de son uniforme pour en faire tomber les copeaux et se tourne enfin vers moi.

— Tu veux aller vérifier peut-être ?

— Nous sommes de garde. C'est notre travail.

Contrairement à la sculpture sur bois, songé-je, un peu amer : cet homme s’est trompé de métier et son incompétence peut mettre en danger la ville.

— Très bien. Je t'ouvre, tu vas voir et quand tu reviens tu toques cinq fois à la porte et tu dis cui cui.

Cui cui ? Je soupire et obéis. Ce type est un poltron irresponsable, mais il ne craint pas de se moquer de moi et me tourner en ridicule.

Je quitte l’enceinte du château et court le plus discrètement possible jusqu’à la lisière de la jungle. Je fais un détour par prudence puis me rapproche du groupe qui m'a alerté. Ils sont cinq. Quatre dans le véhicule à l'arrêt. Le dernier est debout devant deux tas. Des tas ? Non, je me trompe. Ce sont des gens assis. Je me glisse derrière un palmier.

— Dites-moi combien, lâche une voix avec un fort accent.

— Sait pas… On sait pas… Laissez-nous partir…

Je remarque alors une troisième silhouette. Un bébé. J'ignore qui sont ces types, mais peu importe : ils ne semblent pas de l'île et menacent des habitants.

Je quitte ma cachette, rampe sur les quelques mètres qui me séparent du chemin et me glisse sous le véhicule. Le bébé est juste sous mon nez maintenant, entre les deux pieds du type. Je dois faire quelque chose. Mais je peux pas tirer sur cet intru, il en reste quatre dans la bagnole ! Et mince. Ils nous apprennent pas à réfléchir, à l'entraînement.

Soudain le type se dirige vers la voiture et ouvre une porte. Je sors de ma cachette, j’attrape l’enfant et prends le bras du monsieur.

— Courez ! Vite !

Il comprend, récupère le bébe, happe la main de sa femme et la tire dans la forêt, en direction du village des pêcheurs.

Je pars à l'opposé, droit vers le château. Et au passage, je tire une balle dans le pied de l'abruti qui a osé menacer un enfant.

Il n’apprécie pas. Pas du tout. Heureusement que je cours vite et qu'il fait nuit. Les cinq types oublient complètement la famille, embarquent le blessé à bord, démarrent la voiture et se lancent à ma poursuite. Je détale dans la forêt, prends un raccourci et manque de m’écraser contre la porte du château en l’atteignant tellement j’ai peur de ralentir.

— Ouvrez !

Le bruit du moteur se rapproche.

— Le mot de passe ?

— Cui cui !

Le battant s'écarte. Je saute à l'intérieur et commence à refermer.

— Hé, applique-toi, me reproche-t-il.

— Des intrus ! Sonnez l'alarme !

Le vieux comprend enfin et grimpe à l’échelle fixée sur la tour. La cloche sonne.

Quand elle s'arrête, j'écoute de mes deux oreilles. Plus un bruit. Ils n'étaient pas assez nombreux pour oser se coltiner la garde.

 

*

 

— Je peux savoir pourquoi vous avez sonné l'alarme ?

— C'est lui qui m'a dit de le faire.

Je manque de m’étrangler. Mon supérieur n’a visiblement accordé aucun crédit à mon rapport et n’a pas l’intention de me soutenir.

L'Ire se tourne vers moi. Il contient difficilement sa colère. Je passe mes nuits à garder la porte de son fichu château, mais lui, il m’en veut de le réveiller après dix heures du soir. Fainéants d'aristos.

— Je peux savoir pourquoi vous lui avez dit de sonner l'alarme ?

— À cause des intrus, monsieur.

— Quels intrus ?

— Nous l'ignorons, lâche le général. J'ai aussitôt envoyé un groupe mais ils n'ont trouvé personne.

— Parce qu'ils étaient partis, répliqué-je

Je raconte pour la deuxième fois l'histoire mais je ne croise que des regards sceptiques.

À ce moment, un homme toque à la porte.

— Il y a quelqu'un qui veut absolument voir le portier, lâche-t-il.

Moi ? Mais…

— Il dit qu'il est pêcheur et que le portier lui a sauvé son gosse. Y a la moitié de son village devant la porte. Ils affirment qu’ils veulent aider à chercher les intrus.

Je me mords les lèvres pour ne pas sourire. Ils sont obligés de me croire, maintenant.

 

*

 

La garde a retrouvé les intrus, ils croupissent au fond des cachots. C'était des bandits d'une île interdite.

L'Ire va me remettre une médaille. Ça me gêne, je sais très bien pourquoi il fait ça. C'est pour les pêcheurs. Mais j'ai fichu un sacré bazar en faisant sonner la cloche. Il me gratifie quand même d’un long discours solennel. Mortellement ennuyant.

Puis je traverse la salle en tenue de cérémonie. Je crois qu'elle est trop grande. C'est la première fois que je la mets. Elle s’accorde parfaitement aux murs et aux dalles taillées dans la pierre volcanique gris bleu de notre île.

Si ma mère avait pu voir ça.

Quand j'arrive sur l'estrade, je me rends compte que ce n'est pas l'Ire qui va me décorer, mais sa fille. Elle accroche la médaille sur ma veste sans un mot, sans un sourire.

Tout le monde m'applaudit, même les cinq conseillers qui sont debout en arrière de l’estrade. Pas elle. Elle garde ses mains dans son dos.

 J'emboîte le pas à son père qui me conduit dans une salle à part.

— Écoute-moi mon garçon, tu es jeune, mais tu nous as prouvé que tu avais quelque chose dans le crâne. 

Je garde le silence. Pas l'habitude des compliments.

— Une porte s'ouvre à toi. Soit tu passes, soit tu lui tournes le dos. C'est à toi de choisir. Je te propose de suivre une formation en quatre ans. Elle te permettra de postuler pour certains postes de gardes.

— Gardes de quoi ?

— Nous verrons, nous verrons.

Il hésite puis se résigne à m'en dire plus.

— Il semble que le garde-du-corps de ma fille doive partir à la retraite dans quelques années.

Non. Pas elle !

J'inspire lentement. Je ne peux pas refuser. Être portier toute ma vie, non merci.

— C'est d'accord.

L'Ire a l'air surpris.

— Je voulais te laisser une semaine pour réfléchir.

— Je suis sûr de moi.

— Très bien. Prendre les décisions vite c'est une qualité remarquable.

Je quitte la pièce le cerveau en ébullition. J'espère que j'ai vraiment bien choisi. Parce que si je dois jouer à la nounou le restant de ma vie, mieux vaut encore être portier. Cela ne m'étonnerait pas que quatre ans soient nécessaires pour apprendre à dompter ce petit monstre.

 

*

 

Assis sur un tabouret en bois, un des seuls meubles du dortoir, je m’efforce d’enfiler mes chaussures en toile. Elles commencent à être trop petites pour moi. Je les ai achetées l’an dernier pour la fête du port avec l’intention de les garder quelques années, mais il semble que ma poussée de croissance aura raison d’elles plus tôt que prévu. Je quitte le bâtiment où logent les recrues et m’enfonce dans le village en direction de la place du puit. L’excitation des habitants sature l’air, chacun a mis ses plus beaux habits pour cette soirée qui promet d’être une des meilleures de l’année. Ceux qui savent jouer de la flûte la portent sur le côté et sifflent de temps en temps un air enjoué que les passants reprennent en chantant. Je me laisse entraîner vers le port sans cesser d’observer un des musiciens, particulièrement doué.

Personne ne m’attend, personne ne me cherche

J’erre quelques temps entre les stands de jeu puis me dirige vers une immense marmite où chauffe doucement de la soupe de poisson. Il faut patienter une dizaine de minutes avant d’être servi mais c’est un régal.

— Tu aimes ?

Je sursaute et manque de renverser mon bol.

— Celle de ma femme est encore meilleure ! Tu pourrais venir manger à la maison de temps en temps.

Vic est un des pêcheurs les plus respecté. Cela paraît incroyable qu’il m’invite à sa table, moi, le petit soldat en formation.

— Ce serait avec plaisir, répondis-je.

— Tu peux venir demain midi si tu veux. Et demain aprèm, on emmène le gosse en mer. Tu pourrais venir faire un tour de bateau avec nous !

— Merci beaucoup. Mais je travaille, demain.

— Un prochaine fois alors. Viens au moins manger, on est sur le chemin de la côte, c’est pas très loin du château !

— C’est d’accord. Je viendrai.

— Vic ! appelle une femme un peu plus loin.

— J’arrive ! A demain, gamin, ajoute-t-il pour moi.

Je passe encore quelques temps dans la fête, me laissant gagner par l’enthousiasme général, puis me dirige vers la sortie du village.

— Vous ne comprenez pas ! Je n’avais pas le choix !

— Tu es la fille de l’Ire, tu peux faire tout ce que tu veux.

— Je t’assure que non. Ce soir, j’ai dû fausser compagnie à mon garde du corps pour vous rejoindre.

— Ouais c’est ça. C’est quand même culotté de ta part de venir nous voir après tout ce temps. Tu ne nous as jamais donné de nouvelles, Adèle.

— Je ne pouvais pas…

— Ouais c’est ça. Mon père m’avait prévenu pourtant qu’il ne fallait pas que je m’attache à toi, que tu nous laisserais tomber.

—  Christie…

— À plus tard, Adélaïde, cingle sa cousine avant de quitter la rue, suivie de ses amis, me laissant seul sur le trottoir face à la fille de l’Ire.

Elle me voit alors, tourne les talons et part en courant. Pas assez vite pour me cacher ses larmes. 

Je m’évertue à devenir un bon garde du corps pour elle, il me reste deux ans de formation pour ça, mais ce n’est peut-être pas ce dont elle a le plus besoin. Je me demande si son père est au courant, et si c’est pour cela qu’il a voulu m’embaucher malgré mon jeune âge.

Partie SUIVANTE

Partie 2

 

 

 

Je pile, fait volte-face et part en courant vers la porte du château.

— Adélaïde ! crie mon garde du corps en se lançant à ma poursuite. Revenez !

Ma seule chance de le semer est d’atteindre la forêt. Mais je n’ai même pas fait cent mètres quand sa main attrape mon bras et m’empêche de faire un pas de plus. Et mince. Ce portier de malheur court plus vite que le vieux croûton qu’il a remplacé.

— Lâchez-moi, grogné-je en essayant de me dégager.

— Où comptez-vous aller comme ça ? me demande-t-il sans me lâcher.

— Ça ne vous regarde pas.

Sans un mot il me traine jusqu’à un banc et m’y assoit de force.

— Hé !

— Je pense qu’il vaut mieux que je sois clair dès le début, fait-t-il en me regardant droit dans les yeux. Je suis chargé de votre sécurité. Je ne suis pas votre nounou. Ne me cassez pas les pieds et je ne vous embêterai pas non plus.

— Ok, ça va, marmonné-je et il me lâcha enfin.

— Je répète ma question. Où comptiez-vous aller ?

J’hésite puis décide de tenter le coup.

— Au port.

— Très bien. Allons-y.

Et il m’accompagne. Tout simplement. Pourquoi mon ancien garde du corps ne voulait-il pas que je quitte le château ? Visiblement, son remplaçant n’a pas reçu les mêmes ordres.

 

K

 

Le temps passe si vite. J’ai l’impression que je viens de finir ma formation, et pourtant j’effectue déjà ma première mission en dehors de la ville. Les conseillers m'ont donné dix hommes pour que j'escorte Adélaïde. Ça devrait bien se passer. Elle est toujours aussi têtue mais elle a appris à se taire.

Je préfère de loin ça.

Nous nous rendons au sud de l'île en véhicule solaire puis nous marchons jusqu'au centre d'étude.

Pas de raisons qu'il y ait le moindre souci. Je suis détendu.

Puis mon talkie-walkie bip.

 

*

 

Je rattache l’appareil à ma ceinture.

— On a un problème. Un groupe armé vient de passer le barrage en force. Ils arrivent sur nous.

Adélaïde pâlit.

— Qu'est-ce qu'on fait ? me demande-t-elle.

— Tant pis pour la conférence, on va vous conduire au barrage le plus proche et vous faire évacuer.

— On n'aura jamais le temps.

— Alors arrêtez de bavarder.

— Vous pourriez être blessé.

— C'est mon job.

Elle lève les yeux au ciel, excédée.

— Vous rigolez ? Je sais courir, je suis discrète. Prenez vos hommes et partez par là. Ils vous suivront un moment avant de comprendre que je ne suis plus avec vous.

— Hors de question.

— Vous n'avez pas le choix, soldat !

Je me retiens de dire ce que je pense à cette gamine écervelée et…

— D'accord, capitulé-je, mais je viens avec vous.

Je me tourne vers mes hommes, donne mes consignes et ils filent. La plupart d'entre eux sont plus âgés que moi, mais aucun ne proteste.

— Allons-y maintenant, conclus-je en me tournant vers Adélaïde.

Elle n'est plus là.

Mais pourquoi ai-je accepté ce poste ?

 

A

 

Je cours de toutes mes forces. Il ne doit pas voir par où je suis partie. Il faut qu'il rejoigne ses hommes. Je grimpe les escaliers deux par deux et tourne à l'angle de la rue suivante. Je sais que ma garde a installé un deuxième barrage un peu plus loin. Il ne faut pas que je m'en approche. Je dois semer les intrus, alors ils comprendront qu'ils ont raté leur coup et ils repartiront sans faire de mal à personne. Ils comptent sur l’effet de surprise, non ? Ils n’insisteront pas. Je repère une fenêtre ouverte, bondis dans la maison.

— Mais que…

— Chut ! lancé-je à la dame.

Je monte jusqu'au troisième étage, pousse les portes une à une jusqu'à trouver un vasistas. Je me hisse sur le toit.

En bas, rien à déclarer. Puis quelques coups de feu résonnent, tout près. Ce n’était pas dans mon plan, ça. Je ne peux pas les laisser faire.

Je démonte quelques tuiles tant bien que mal, vérifie que le trottoir est désert puis les jette au loin. Elles retombent sur les pavés et éclatent en mille morceaux. Ça fait un boucan du diable. Les tirs cessent mais les cris reprennent. Les intrus courent dans ma direction. Une partie d'entre eux reste en arrière pour veiller à ce que les gardes ne quittent pas le barrage et ne les suivent pas, mais les autres voient les éclats d'argile. Je m'aplatis contre les tuiles.

À ce moment un vrombissement se fait entendre et je m'oblige à tourner la tête. Un hélicoptère. Ami ? Ennemi ? Deux hommes se laissent glisser le long d'une corde. Ils n'ont pas la tenue de l'armée.

Je me relève et essaie de courir sur le toit incliné.

— ADÉLAÏDE !

J'aperçois mon garde, au pied du bâtiment. C'est lui qui m'a appelée, j'en suis certaine. Pourtant, ce n’est pas moi qu’il regarde. Je jette un coup d’oeil en arrière. Les hommes qui sont descendus de l'hélicoptère sont armés de fusils énormes. L'un d'eux me vise.

— COURS !

Je n'ai pas le temps d'obéir. Le type appuie sur la gachette et le projectile part. Ce n'est pas une balle.

La seringue hypodermique se plante dans mon épaule.

 

 

 

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