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08/03/2016

 

I. L’exécutrice

« Les oreilles c'est comme les pieds ça se lave de temps en temps ! »

 

Aethra effleure la silhouette dentelée des montagnes et les derniers rayons de l’étoile illuminent les glaciers de nuances orangées.

Anna ne sent pas le vent glacial qui remonte le long de la falaise et fouette ses joues. Elle ne semble pas réaliser pas que si elle ne prend pas garde, son corps s’écrasera une centaine de mètres plus bas. Ses doigts engourdis sont enroulés autour de la branche sur laquelle elle est assise et ce simple contact semble suffire à la rassurer. Elle ne tombera pas. Ses yeux ne quittent pas les montagnes. Dans un arbre voisin, un oiseau lance un piaillement vite repris par quelques congénères, puis le silence tombe en même temps que la nuit.

Anna reste immobile. En contrebas, les lumières de Sonir tracent une spirale au creux de la vallée. La jeune fille se demande si quiconque avant elle a déjà osé quitter la ville pour la contempler de nuit, malgré le couvre-feu. Personne n’est censé sortir. Les exécuteurs veillent à ce que les citadins ne mettent pas un orteil à l’extérieur de la ville. Chaque année le Tournoi rappelle à tous les habitants qu’ils sont les meilleurs combattants de Sonir et que s’opposer à eux serait aussi stupide que de se jeter du haut de cette falaise. Mais Anna n’a pas peur du vide et elle serait prête à relever le défi. Elle a toujours été têtue.

Le prochain Tournoi se déroulera dans trois jours, mais quelque chose ne sonne pas juste. Ce ne sera sans doute pas une année comme les autres. De toute façon, Anna n’a pas connu beaucoup d’années quelconques. Pas depuis ses sept ans.

*

Ce jour-là, Anna lisait un livre. Rien d’inhabituel si ce n’est que l’histoire ne progressait pas comme elle le souhaitait. Quand elle en arriva à cette fameuse phrase, celle qui annonçait que son personnage préféré n’avait pas survécu, elle ne put la quitter des yeux et la lut, la relut, si en colère qu’elle ne sentit pas ses doigts se crisper sur le papier, si hors d’elle que lorsque le livre s’enflamma, elle ne le jeta pas immédiatement au sol. Son hurlement raisonnait encore quand sa mère fit irruption dans la pièce. Son regard passa du livre en feu sur le parquet à sa fille, roulée en boule sur le lit.

— Chéri ! cria-t-elle derrière elle. Tu ferais mieux de venir…

Sa mère la fit descendre dans la cuisine, l’assit à table et lui donna des galettes de grains soufflés avant de quitter la maison. Quand son père la rejoignit, il semblait las. Il s’installa à côté d’elle et posa sa tête dans ses mains.

— Papa… tenta Anna. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

Pierre se tourna vers elle, comme s’il n’avait pas encore réalisé qu’elle était là.

— Rien, lâcha-t-il finalement. Il ne s’est rien passé. D’accord ?

Elle croisa les bras et le fixa en faisant la moue.

— Pourquoi tu veux pas en parler ?

Pas de réponse.

— Qu’est-ce qu’on attend ?

Il soupira.

— Rien. Tu veux une galette ?

C’était une solution un peu facile pour se débarrasser de ses questions mais cela fonctionna parfaitement. Anna adorait les galettes.

Quand sa mère revint, elle la fit assoir sur un tabouret dans un coin de la pièce et recouvrit ses yeux d’un bandeau. Anna se taisait. Ses parents avaient toujours assouvi sa curiosité débordante et leur soudain mutisme la déconcertait. Puis la porte s’ouvrit, des pas se rapprochèrent et une main se posa sur son épaule.

— Tout va bien se passer, affirma sa mère.

L’inconnu souleva son haut et posa une main sur son ventre, la faisant sursauter. Elle le savait, cette main n’appartenait à aucun de ses parents.

— C’est froid ! s’exclama-t-elle.

La poigne de sa mère se fit plus ferme sur son épaule et la maintint assise. La surprise se changea vite en peur. Que se passait-il ? Puis vint la douleur.

*

Anna s’agite sur sa branche. Ce n’est pas si confortable. Peu importe, il est l’heure. Elle se met debout en s’appuyant au tronc puis fait un pas en avant dans le vide. La jeune fille se dépose en douceur cent mètres plus bas.

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